CORRESPONDANCES ADRESSÉES À MAURICE GARÇON



 Le 21 juin dernier la Maison de ventes Pescheteau Badin présentait aux enchères une partie de la correspondance adressée au plus célèbre avocat de l’entre-deux-guerres Maurice Garçon. Essayiste, parolier, romancier, aquarelliste, polygraphe, académicien et historien français, Maurice Garçon est surtout connu pour avoir défendu un grand nombre de causes, tant littéraires que criminelles, notamment celles de René Hardy ,Georges Arnaud et de Jean-Jacques Pauvert.

Il est l’ami et le conseil des plus grandes personnalités de son temps aussi bien dans les arts, la littérature, la peinture que la politique. Citons parmi ses correspondants : André Breton, Blaise Cendras, Maurice Chevalier, Paul Claudel, Colette, Jean Cocteau, Jean-Paul Sartre, Paul Valery, Charles de Gaulle, Jean Genet, André Gide, Paul Leautaud, Fernand Leger, François Mauriac, Henry de Monfreid ou encore Marcel Pagnol.

De très nombreuses lettres qui ont été proposées lors de cette vente aux collectionneurs témoignent des liens et de l’influence de Maurice Garçon sur son époque. C’est un homme aux mille vies que nous découvrons au travers de ses correspondances.









MAURICE GARÇON - L’HOMME AUX MILLE VIES


Né le 25 novembre 1889 à Lille et mort le 29 décembre 1967 à Paris, Maurice Garçon est le fils d’Émile Garçon, célèbre juriste professeur de droit pénal à la Faculté de Droit de Lille, puis Paris, Il devient avocat au barreau de Paris en 1911.
Il utilise son éloquence dès le début de sa carrière, mais fait plus appel à la raison du jury en s’inspirant de la technique de « plaidoirie express » de son mentor Henri-Robert, avocat et historien français, bâtonnier du barreau de Paris et membre de l’Académie française.

Maurice Garçon sera partie lors des grands procès de l’entre-deux-guerres : 
En janvier 1929, il défend Louise Landy accusée du meurtre de son mari Paul Grappe, ancien déserteur travesti pendant dix années en femme pour échapper aux poursuites. Elle est acquittée 
En 1932, Maurice Garçon a défendu avec succès le roman de Simenon Le Coup de lune contre le reproche de la diffamation (calomnie), sinon l’accusatrice aurait dû affirmer qu’elle était autrefois une prostituée.
En 1939, il représente avec Maître Maurice Loncle la partie civile allemande dans l’Affaire Grynszpan. Il plaide pour Francis Carco dans le procès Camoin.

Il devient l’avocat de l’Académie Goncourt. En 1943, il fait acquitter sous les acclamations du public Henri Girard, plus connu sous le nom de Georges Arnaud, le futur auteur du Salaire de la peur, accusé d’avoir assassiné son père, sa tante et leur femme de ménage à coups de serpe. La même année, il sauve de l’échafaud Jean Gautier, jugé par le Tribunal d’État pour avoir assassiné à Poitiers le 13 mai 1943, en compagnie de quatre étudiants, le docteur Michel Guérin alias Pierre Chavigny, l’éditorialiste du journal collaborationniste L’Avenir de la Vienne.
À la Libération, il défend victorieusement deux fois de suite René Hardy soupçonné d’avoir livré Jean Moulin aux Allemands lors de la réunion de Caluire.

Après la guerre Maurice Garçon defend le milieu littéraire et artistique : 
En 1954, dans un procès en appel devenu célèbre, citant comme témoins Georges Bataille, Jean Cocteau et Jean Paulhan, il assure la défense du jeune éditeur Jean-Jacques Pauvert qui, bravant la censure, a publié l’Histoire de Juliette, Les Cent Vingt Journées de Sodome et La Philosophie dans le boudoir du marquis de Sade. Il continue de le défendre dans l’affaire d’Histoire d’O, qui se solde en octobre 1959 par une annulation grâce à l’intervention habile de Dominique Aury (dont on apprit plus tard que c’était elle qui se cachait derrière Pauline Réage, l’auteur alors non identifié du roman sulfureux).
En 1962, la pugnacité de Maurice Garçon permet aux éditeurs d’oeuvres érotiques (Jean-Jacques Pauvert, Régine Desforges...) de pouvoir imprimer des textes jusque-là interdits et susceptibles de condamnation pour outrage.

Passionné de littérature ésotérique, il écrit plusieurs livres sur la sorcellerie et rassemble dans son appartement parisien de la rue de l’Éperon une bibliothèque spécialisée. Il reçoit de nombreuses personnalités des arts et des lettres dans son domaine de campagne, au château de Montplaisir. Amateur d’art, il contribue, avec son ami Roland Dorgelès à la célèbre farce du tableau Et le soleil s’endormit sur l’Adriatique par Boronali (anagramme d’Aliboron).

Avec Paul Claudel, Charles de Chambrun, Marcel Pagnol, Jules Romains et Henri Mondor, il est une des six personnes élues le 4 avril 1946 à l’Académie française lors de la deuxième élection groupée de cette année visant à combler les très nombreuses places vacantes laissées par la période de l’Occupation. Il est reçu le 16 janvier 1947 par André Siegfried au fauteuil de Paul Hazard qui, à cause de la guerre, n’avait jamais été reçu.
Grande figure du barreau, il est cité avec René Floriot (son parfait contraire sur le plan du caractère) dans la dernière phrase du film de Jean-Pierre Melville Bob le flambeur. Insolent, anticonformiste refusant d’être membre du conseil de l’Ordre des avocats, il est détesté par beaucoup d’avocats.
On lui doit quelques frasques d’anthologie comme jouer à la pétanque place de la Concorde, écrire au Président pour lui assurer que tout allait bien, faire servir à table des carafes d’eau dans lesquelles tournoyaient des poissons rouges. Il fut par ailleurs membre du conservatoire de l’Humour, président du Club du Cirque et avocat du syndicat français de la prestidigitation (art qu’il pratiquait).


COCTEAU (Jean) - poète, dessinateur et cinéaste français (1889-1963).
2 documents à Maurice Garçon.
L.A.S. à “Bien cher ami” St Jean Cap Ferrat 8 juin 1951, 1p.n-4°. 

Intéressante lettre à propos de l’adoption d’Edouard Dermit, jeune mineur lorrain qu’il rencontra en 1947, qui devint acteur et peintre (1925-1995)
«Puis-je vous demander d’urgence un grand service ? J’ai décidé d’adopter Edouard Dermit (avec la pleine approbation de ses parents, mineurs de la moselle, surchargé de gosses). Ma tristesse de vieillir sans fils me pousse à cet acte, après une longue mise à l’épreuve du caractère exceptionnellement noble de ce jeune homme. Maitre Morel me demande quelques témoignages pour le tribunal... Dermit a joué les rôles de Cégeste dans Orphée et de Paul dans les Parents Terribles. Il dirige en outre ma maison de campagne”.

L.A.S. à “Mon cher ami”, St Jean Cap Ferrat 18 juin 1951, 1p.in-8°: “Merci de tout coeur, je rentre d’une petite croisière...votre lettre est parfait comme n’importe quoi sortant de votre plume...Moi je peins. J’aime l’acte de peindre sans m’interroger sur ce qui en résulte. L’acte d’écrire est plus ingrat...Je commence une pièce assez difficile...”.
Il s’agit sans doute de Bacchus. 
Estimation : 500 / 600 €
Lot 161


LEGER (Fernand) peintre français (1881-1955). 
3 cartes postales autographes signées à Maurice Garçon au dos des repro- ductions de sa sculpture polychrome et de sa mosaïque à Saint Paul de Vence. 

Amicale correspondance : voeux, félicitations pour un article ; (s.d.) : « On commence à être emmerdé pas d’autres mots par les fausses gouaches et dessins, les toiles c’est un peu plus rare, alors j’ai prié́ les acheteurs s’ils sont douteux de me les apporter. Puis- détruire de mon propre chef le faux ! ou y a-il une jurisprudence la dessus ?... ». Joint faire part de décès de F. Léger le 17 août 1955 à Gif-sur- Yvette. 
Estimation : 600/700 € 
Lot 214


PAGNOL (Marcel) écrivain, cinéaste et producteur français (1895- 1974). 
L.A.S. à Maurice Garçon. Valberg, 5 mars (1950) 2p1/2. In-8°. Enveloppe jointe.

Emouvante lettre dans laquelle Marcel Pagnol laisse poindre son désarroi et cherche de l’aide en la personne de son ami Maurice Garçon « ...Je t’écris pour une affaire très importante... Le 24 septembre 1930, j’ai eu un fils, mon premier né, Jacques. J’ai eu le grand chagrin de le déclarer à la mairie du XVIe de père inconnu... J’étais en effet déjà̀ marié... Nous étions déjà̀ séparés en 1925 : mais elle refusait le divorce... Jacques est donc, en toute certitude, un enfant adultérin. Y a-t-il quelque chose à tenter pour lui donner mon nom ? Le Président de la République n’aurait-il pas quelque pouvoir extraordinaire ?... » 
Estimation : 300/400 € 
Lot 231


PAGNOL (Marcel) écrivain, cinéaste et producteur français (1895-1974). 

Correspondance de 15 lettres, dont 14 lettres autographes signées, une lettre signée avec un paragraphe autographe, adressée à Maurice Garçon. Rédigées principalement à Paris, Monaco et (s.l.) datées de décembre 1945 à 1966, 5 (s.d.). Environ 27p1/2. Format in-4° et in-8°. Une enveloppe.

Très intéressante correspondance dans laquelle Marcel Pagnol évoque ses divers travaux (discours, pièces, ouvrages dédies au cinéma, productions cinématographiques etc...) ainsi que certaines affaires de Maurice Garçon.

Le 25 janvier 1947 il lui écrit « ...Je regrette infiniment de n’avoir pas vu ton triomphe dans l’affaire Hardy. C’était une grande cause, elle a eu un grand avocat... » il évoque sa nouvelle vie à Monte-Carlo « ...Je déjeune avec des ténors et des chefs d’orchestre, je dîne avec des altesses... bref ça s’annonce fort bien... » ; 

le 15 octobre 49 il lui fait part de plusieurs inquiétudes « ...J’ai vu ici des refugiés de Hongrie et de Roumanie qui font des récits horrifiques. Je suis inquiet pour nos enfants... » et continue sur ses divers travaux « ... Je vais publier : 2 gros volumes sur le cinéma, des notes sur la fonction respiratoire, une traduction (avec préface et notes) du Songe d’une nuit d’Été - Un drame sur Judas... » encore (s.d. 1955-1956) « ...J’ai fini ma nouvelle pièce, qui s’appelle La Belle Amour. Mais je suis cloué ici par ce Judas (costumes et décors) - par les visites de Popesco et Rossellini, et quelques comédiens... » et finit par citer une grande affaire criminelle dans le post-scriptum « ...Je suis toujours très énervé par ton absence dans l’affaire Dominici. C’est indiscutablement une affaire Garçon. ». 
Estimation : 800/900 € 
Lot 233


GAULLE (Charles de) (1890-1970)
2 L.A.S. à Maurice Garçon 17 et 18 février 1965, 2p.in-8° papier gravé à ses nom et grade, 2 enveloppes.

17 février : « J’ai lu « L’avocat et la morale ». A mon sens, c’est éloquent, non point équitable... » ; 18 février : Il remercie pour son livre : les « Nouvelles Histoires curieuses ». Je l’ai lu, comme tout ce que vous écrivez, avec le grand intérêt que mérite votre talent... ».

Joint L.S. du secrétaire de la présidence accusant réception de l’ouvrage envoyé́ pour le Général de Gaulle. 
Estimation : 400/500 € 
Lot 188


GENET (Jean) écrivain et auteur dramatique (1910-1986)
L.A.S. à « Cher Maitre » (Maurice Garçon) (s.l.n.d.) 1p.in-4°.

« Une fois de plus je vous dois la liberté́...j’ai eu le souffle coupé par votre virtuosité́ pour abolir les méchantes volontés : une fois de plus l’escamoteur, sans effet de manches, a mis les juges dans sa poche. Bravo... » Il n’ose à peine l’inviter à diner. 
Estimation : 150/200 € 
Lot 190